L'entrée, à l'origine au sud, se faisait par un gand iwan à voûte en berceau. Aujourd'hui, ce qui semble être la façade principale fait face à l'est, donnant, par dessus la rivière, vers l'entrée de la gorge. derrière se trouvent deux cours, une à chaque extrémité ; celle du sud couvre environ deux milles mètres carrés, alors que celle du nord a une superficie sensiblement moindre. Elles sont séparées l'une de l'autre par une enfilade de trois salles à coupoles qui s'étendent sur toute la longueur du palais. De la plus à l'est ne subsiste qu'une moitié, surmontée d'une moitié de dôme, de sorte qu'à première vue, la façade semble interrompue par un vestibule à ciel ouvert de dix mètres de large sur quinze de haut. Mais on s'aperçoit très vite qu'il n'y a pas de façade du tout - j'emploie le mot uniquement par commodité - et que l'ensemble du mur oriental, jadis à l'aplomb de l'étendue herbeuse où les Kachgaïs ont aujourd'hui installé leur campement, s'est peu à peu écroulé, entraînant dans sa ruine le devant de la première salle.

Les deux salles intérieures font à peu près dix mètres sur dix, et leurc coupoles, reposant directement sur de simples trompes d'angle, ont le même diamètre. Le sommet de chaque coupole est percé d'une ouverture ronde maçonnée en saillie vers le haut à l'extérieur. Aujourd'hui, ces ouvertures représentent la seule source de lumière  si elles étaient à l'origine aveugles, les salles au-dessous devaient être éclairées à la lumière artificielle, et les dômes surmontés d'un grossier renflement - ce qui constituerait un précédent aux extraordinaire mamelons romans de Périgueux. Le dôme de la salle centrale est plus haut de cinq mètres que les deux autres. Plus haut encore est le dôme elliptique qui le sépare du dôme frontal, et qui coiffe le passage entre la salle centrale et la chambre extérieure ruinée. Ce passage comporte deux étages ; mais une ouverture dans le plancher de l'étage supérieur permet à la lumière entrant par la coupole de parvenir jusqu'à l'étage inférieur. Un passage similaire sépare la salle centrale de la dernière salle ; mais lui est couvert par une massive voûte en berceau entièrement aveugle.

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Il faudrait beaucoup de temps pour tirer quelque chose de cohérent du fouillis de murs intérieurs et de maçonneries écroulées que l'on aperçoit dans les deux cours. Il apparaît cependant qu'une salle, ou une succession de salles voûtées en berceau, courait le long des salles à dôme. La voûte a disparu, mais deux des murs transversaux à faîte semi-circulaire, qui la portaient, sont encore debout. Ces murs sont percès à leur base de petites arches, semblables à celles d'un pont, dont la voussure, moindre que celle de la voûte au-dessus, est rendue doublement hideuse par un pilier au sommet, nécessaire pour supporter le poid du mur.

La plupart des murs ont environ un mètre cinquante d'épaisseur. Les pierres n'étant pas taillées, du mortier remplit les interstices. Les trois salles étaient revêtues de stuc, et portent, quant au détail, l'empreinte de deux styles. Le premier pourrait être qualifié de roman : les trompes reposent sur une corniche en dent-de-chien ; les portes à sommet arrondi sont encadrées de moulures concentriques ; dans une niche similaire de la cour sud, ces moulures sont elles-aussi en dent-de-chien. L'autre style est de l'égyptien bâtard, copié sur Persépolis : des portes cintrées sont surmontées de gâbles horizontaux se dentelant, dans leur développement vers l'avant et l'extérieur, en un motif de feuille rayonnante. Cette convention décorative n'offre déjà pas grand intérêt dans son pays d'origine, et réalisée dans la pierre originelle. Et tant que réminiscence de troisième main, et faisant appel à un matériau bien moins noble que la pierre, cela préfigure le goût des édiles londoniens au début du XXe siècle.

Seuls les archéologues peuvent trouver quelques beautés à l'architecture sassanide : l'intérêt de celle-ci est avant tout historique. Ce palais, bâti au début du IIIe siècle de notre ère, marque une étape décisive dans l'histoire de l'architecture. La révélation de la trompe, section de voûte à l'angle de deux murs, coïncide avec l'apparition, en Syrie, du pendentif, voûte en forme de cerf-volant reposant sur un pilier d'angle. Et ces deux innovations ont donné naissance à deux formes architecturales fondamentales, liées chacune à une religion déterminée : la forme persane médiévale, qui essaime en Mésopotamie, au Levant, en Inde, et la forme romano-byzantine, qui se diffuse jusqu'aux confins de l'Europe septentrionale. Il était jusqu'alors impossible de placer un dôme au dessus de quatre murs organisés selon un plan carré, ou au-dessus d'une construction, de quelque forme que ce fût, d'une superficie intérieure nettement supérieure à celle de la base du dôme. Mais, à mesure que trompes et pendentifs prenaient de l'ampleur et que les premières donnaient naissance à des zones en forme de stalactites et d'ailes de chauves-souris, il devint possible de coiffer de dôme des édifices de toutes formes et dimensions. La mise en œuvre chrétienne de cette technique trouva son apogée avec Sainte-Sophie, à Constantinople, et connut une seconde jeunesse avec le dôme de Brunelleschi à Florence. L'islam attend encore quelqu'un qui serait capable d'établir sereinement sa carte dans l'ambiance de jalouses rivalités où se meut l'archéologie contemporaine. Mais une chose est certaine : sans ces deux principes, dont l'un apparaît ici à l'état de prototype, l'architecture telle que nous la connaissons serait tout autre, et nombre de monuments aussi universellement connus que Saint-Pierre, le Capitole ou le Taj Mahal n'aurait jamais surgi de terre.

Robert Byron, Route d'Oxiane, 1937.

Traduction de Michel Pétris, Éditions Payot et Rivages.